Une antienne grégorienne,
début d’une improvisation et exercice de style
Catherine Weidemann - C&H 136
Dans un ancien numéro de 1993, le Père Patrice avait proposé une improvisation sur l’antienne Joseph fili David, qui est chantée traditionnellement le 19 mars dans certains monastères et paroisses lors de la communion.
1. De multiples raisons pour déterrer cette antienne des archives
D’une part, l’année 2021 a été décrétée par le Pape François, année dédiée à Saint Joseph pour l’Église catholique. C’est alors saisir l’opportunité de concilier la demande de certains de nos adhérents dans les monastères ou paroisses intéressés par des explications liées à l’improvisation, à la psalmodie et au grégorien.
D’autre part, Père Patrice d’En Calcat, avec l’aide de ses frères, a été la grande cheville ouvrière de nos psaltérions, un précurseur et un inventeur ! Il a joué un rôle immense pour la diffusion de la cithare et du psaltérion en
France et dans le monde. Dans ce numéro où Alain Wetterwald présente son nouvel instrument, nous lui rendons hommage ainsi qu’aux frères d’En Calcat qui poursuivent toujours dans l’ombre ce travail de luthier,
De plus, cette antienne est accessible aux débutants, car le grégorien nous laisse beaucoup de liberté car il n’est pas mesuré. Une partition facile ! C’est aussi des demandes d’adhérents.
Enfin, nous pouvons analyser le processus d’improvisation que Père Patrice a utilisé. Il n’est pas usuel, mais on peut le voir comme un exercice qui permet de construire quelques pas vers une liberté instrumentale. C’est le thème de ce numéro.
2. Les antiennes à saint Joseph
Il en existe plusieurs. Celle-ci a le texte suivant : Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie pour épouse ; en effet ce qui est né en elle vient de l’Esprit Saint. On trouve aussi d’autres mélodies avec ce texte.
La partition de Père Patrice publiée en 1993 présente ce chant avec la mention « même s’il est noté avec les valeurs de notre système musical contemporain, imiter la souplesse du chant grégorien ».
La technologie pour écrire la musique a aussi évolué en 30 ans, et nous
pouvons maintenant écrire ces mélodies grégoriennes sans les hampes
(queues) des notes pour faciliter une lecture plus souple. Cette manière
d’écrire le grégorien sur une portée à 5 lignes est actuellement très répandue.
3. Deux partitions pour un même chant
Pour mieux comprendre le procédé d’improvisation utilisé, nous vous présentons deux partitions.
3.1. La première avec le titre Joseph, fils de David
Original grégorien reprend toute la mélodie en mode de SOL sur une portée à 5 lignes.
- Les notes n’ont pas de hampe (queue des notes).
- Les liaisons sous les notes montrent les mots en latin.
- À deux endroits, une liaison au-dessus de deux notes identiques montre simplement une note plus longue.
- La note SOL qui est la première et la dernière note est considérée comme tonique.
- Le mode de SOL n’a pas de fa dièse. C’est ce qui le différencie fondamentalement de SOL majeur.
- Les accords sur la portée rythmique proposent une harmonisation en mode de SOL avec l’utilisation des degrés suivants :
- 7ème degré : FA majeur
- 2ème degré : LA mineur
- 5ème degré : RÉ mineur.
Vous pouvez jouer cette partition lentement, à votre rythme. Vous pouvez aussi la jouer comme si vous la chantiez. Les courbes mélodiques sont souples, il n’y a pas de pulsation avec des temps. Prenez votre temps en cherchant à exprimer les notes, comme si vous racontiez une histoire. Vous pouvez jouer les accords en arpégé lent ou rapide selon la phrase. Vous pouvez aussi les jouer en syncopé si votre technique vous le permet.
Il se peut que l’harmonisation vous surprenne. Essayez de rentrer dans ces couleurs douces, lumineuses et ouvertes au dialogue, à l’échange. Car le mode de SOL n’est pas conclusif comme le mode de DO. L’ange qui parle à Joseph est joyeux tout en lui laissant sa liberté de décision.
Le chant grégorien contient beaucoup d’anticipations, de retards et de broderies qui sont mis en évidence par les accords. Cherchez à entrer dans leurs saveurs.
3.2. La deuxième partition est celle de Père Patrice.
Pour montrer son processus d’improvisation, nous avons délibérément écrit l’original grégorien d’où il s’inspire en notation sans hampe. Son improvisation est ensuite écrite selon son écriture avec des rythmes et des hampes.
Nous avons également ajouté les 2-3 notes manquantes de la mélodie grégorienne par souci d’exactitude avec l’original.
Notons encore qu’à la mesure 11, Père Patrice omet la dernière note du motif grégorien qui se termine sur la note SOL, il reste sur l’avant dernière note LA. Nous n’avons pas rectifié cette différence par rapport au manuscrit grégorien, comme son improvisation se poursuit.
Il faut remarquer que l’harmonisation est ici clairement en DO majeur, même si les cadences dominante-tonique (V-I) SOL-DO sont soigneusement évitées.
La cadence II-I (accords ré-DO) apporte sa couleur modale, moins conclusive. Les séquences d’accords ne sont pas toutes très heureuses. S’agit-t-il d’erreurs ? Nous vous proposons simplement par endroit une deuxième séquence dans le respect de la modalité grégorienne. Chacun pourra choisir, même en passant de l’une à l’autre.
4. Procédé d’improvisation
Père Patrice reprend chaque motif mélodique grégorien lié au texte (1ère mesure de chaque système, soit les mesures impaires – notation sans hampe), puis il ajoute quelques notes qui s’en inspirent en les accompagnant d’une séquence d’accords (notation avec hampe). De cette manière, il reste dans la structure mélodique du chant, en passant d’un motif à un autre.
Aux mesures 13-14, il reprend deux fois le motif de la mesure 1 pour conclure son improvisation.
On peut s’inspirer de son procédé comme un exercice intéressant, en développant également les libertés mélodiques, toujours en s’inspirant de la structure des motifs donnés.
Avec ce même procédé, vous pouvez aussi reprendre l’harmonisation en mode de SOL et laisser libre cours à votre imagination.
Ajoutons encore que cet exercice de style n’est pas vraiment usuel dans l’apprentissage standard de l’improvisation.
5. Une partition à jouer même pour les débutants
Père Patrice veut rester dans la dynamique expressive du grégorien. Dans ce contexte, les valeurs rythmiques doivent être comprises comme des indications de durée sans être des valeurs mesurées avec une pulsation.
Certains peuvent trouver qu’il y a trop d’accords dans la mesure 2. Mais si vous ajoutez des points d’orgue sur les notes tenues et que vous repérez quelques levées, vous pouvez alors prendre beaucoup de liberté dans votre interprétation, en prenant le temps d’écouter les accords sans souci d’exactitude rythmique.
Et si cet exercice de style vous donne envie d’en savoir davantage sur l’improvisation, n’hésitez pas à vous former. Maguy et moi-même, nous donnons ce printemps différents cours d’improvisation.