LES POINTS & BATONNETS DANS L'ECRITURE DES PARTITIONS - C&H 131
Posté le 05/01/2025
Les points et bâtonnets
dans l’écriture des partitions
Groupe de rédaction - C&H 131
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Au regard de l’histoire, l’objectif de cet article est double :
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• Dans un premier temps, il s’agit d’expliquer clairement et d’analyser ce code des « points et bâtonnets » utilisé dans de nombreuses éditions pour cithares et psaltérions, avec notamment sa présentation au travers d’exemples extraits de partitions d’auteurs différents.
• Dans un deuxième temps, la question de la pertinence de ce code est posée, avec une option pour la publication de nouvelles partitions.
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1. Une clarification nécessaire : visualisation et signification des
points et bâtonnets
Il est important de connaître leurs rôles et fonctions, car ils sont présents dans de nombreux recueils.
- Le bâtonnet indique la corde à jouer.
- Le point indique la corde à ne pas jouer ou à omettre.
- Les points et bâtonnets sont uniquement utilisés lorsqu’un nombre limité et choisi de cordes est à jouer dans un accord (accords fragmentés).
- Ils se lisent de droite à gauche, c’est-à-dire dans le sens de la motricité du pouce gauche. Et non pas de gauche à droite dans le sens de lecture avec les yeux.
- Selon l’instrument, 4, 7 ou 8 points et bâtonnets sont utilisés.
Ils se visualisent de la manière suivante :
► 4 points et bâtonnets pour des instruments à 4 cordes par accord :
12/4, 6/4
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► 7 ou 8 points et bâtonnets pour des instruments à 7 cordes par accord
12/7, 9/7, 7/7 et 6/7
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2. Un historique éclairant : les premières partitions pour cithare
sans modulateurs
A la fin des années soixante au sein de l’Église catholique, le Concile Vatican II demande d’introduire la langue parlée du français au cœur des divers offices religieux, jusqu’alors uniquement en latin. Le répertoire de chants liturgiques doit être profondément renouvelé.
La cithare participe à ce renouveau liturgique en faisant son entrée dans les communautés monastiques comme un instrument d’accompagnement auquel il est fait référence dans les psaumes. C’est alors une petite cithare 6/4 (6 accords de 4 cordes) sans modulateur en provenance des ateliers de fabrication en Allemagne.
Dans les régions germanophones, la cithare à accords, née autour de 1870 et produite à des millions d’exemplaires, reste toujours un instrument très populaire. En suivant le schéma d’un diagramme glissé sous les cordes, on peut jouer et chanter en groupe de nombreuses mélodies connues, sans pour autant avoir des bases de solfège.
Pour les pionniers de la cithare liturgique en France, le problème de l’écriture des partitions se pose très rapidement. Car si la cithare est un instrument dit facile, les codes d’écriture doivent aussi être facilement compréhensibles pour des citharistes sans grande connaissance musicale.
Certains codes sont repris des diagrammes. D’autres sont inventés en fonction de la créativité de ces pionniers, comme par exemple les points et bâtonnets qui apparaissent dès les premières partitions écrites encore à la main. C’est le temps des stencils et des machines à ronéotyper.
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2.1. Partition originale de Sœur Pauline Duc
Sœur Pauline DUC : En Toi Seigneur mon Espérance
Extrait du recueil: Avec un Murmure de cithare, 1977
Partition pour cithare 6/4 sans modulateur
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Dans cette partition, Sœur Pauline Duc utilise les signes suivants :
- Au-dessous de la portée :
- Le bâtonnet indique la corde à jouer.
- Le point sous la lettre ( ) : seule la première corde de
l’accord doit être jouée (signe repris des diagrammes). - La lettre entourée d’un cercle : accord fragmenté dont n’est jouée que le ou les cordes indiquées par le ou les bâtonnets.
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- Au-dessus de la portée :
- Le petit «escalier» : la note (la tierce mineure ou toute autre note) à aller chercher dans la partie chromatique et à insérer dans le jeu de l’accord.
- Le petit point au-dessus de la lettre : l’octave supérieure de la partie chromatique.
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2.2. Partition de Sœur Pauline Duc sans codage,
sur 3 portées
Pour mieux comprendre le code utilisé par sœur Pauline Duc, on peut écrire cette partition sur 3 portées. Nous pouvons ainsi mieux imaginer la dextérité qu’il fallait avoir entre les deux mains. Les citharistes qui se sont formés avec des cithares sans modulateur avaient une connaissance développée des accords pour être capable de compléter l’harmonie par des notes jouées sur la partie chromatique tout en omettant des cordes sur les accords.
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2.3. Partition de Sœur Pauline Duc pour une cithare 7/7
avec modulateur
Aujourd’hui, une cithare 7/7 avec modulateurs permet un autre type d’écriture où les accords sont entièrement arpégés par la main gauche ; la mélodie du chant peut être jouée par la main droite sur la partie chromatique. C’est un autre type de compétence instrumentale.
Dans les années qui suivent l’écriture de la partition originale de Sœur Pauline Duc en 1977, la lutherie des cithares fait un bond en avant avec la conception des modulateurs en 1979, puis la naissance du psaltérion 12/4 en 1983.
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3. Un changement fondamental : les partitions pour 6/4 & 12/4 avec modulateurs
Les modulateurs apportent des possibilités musicales nouvelles. La main droite, qui venait compléter les accords sur la partie chromatique pour accompagner des chants, peut maintenant jouer elle-même une mélodie avec des accords tant mineurs que majeurs. La cithare n’est plus uniquement un instrument d’accompagnement, mais s’ouvre à de nouveaux univers musicaux. Des compositeurs comme Jacques Berthier et Marcel Godard écrivent des partitions spécifiques pour la cithare.
Les points et bâtonnets complètent l’écriture sur la portée. Ils indiquent la ou les cordes à jouer et sont une aide de lecture pour les citharistes peu ou pas habitués à la clé de FA. Le rythme est donné par les notes sur la portée.
3.1. Partition de Jacques Berthier : Au Fil des jours
Jacques Berthier :
Au Fil des jours, extrait du recueil : Espaces de prière n°3
Copyright 1991, première édition 1995, réédition 2014
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- Placé sous un accord, un bâtonnet indique la corde à jouer.
Dans l’édition de cette partition ci-dessus de Jacques Berthier, seule la basse de l’accord doit être jouée.
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3.2. Partition de Marcel Godard : Manosque
Marcel Godard : Manosque
Extrait du recueil : Itinéraire en Haute Provence, 1994
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- Plusieurs bâtonnets indiquent plusieurs cordes à jouer, le ou les points indiquent les cordes à omettre.
Dans l’édition de cette partition de Marcel Godard, les notes à jouer dans les accords ne font aucun doute. Les points et bâtonnets sont une aide de lecture pour ceux qui ne connaissent pas la clé de FA. Il faut jouer dans l’accord de :
1. DO, les 3 premières cordes depuis la droite,
2. SOL, les 2 premières cordes depuis la droite,
3. FA, la première corde de droite, puis omettre la deuxième corde et jouer ensuite les 2 cordes restantes.
En 1988, le psaltérion 12/7 voit le jour à l’abbaye d’En Calcat. Et avec lui, de nouvelles possibilités musicales apparaissent qui influencent aussi directement l’écriture des partitions et la lisibilité des codes.
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4. Un transfert du code des points et bâtonnets pour les instruments à 7 cordes par accord : 6/7, 7/7, 9/7 & 12/7
Si les points et bâtonnets sont facilement lisibles pour des accords de 4 cordes, il n’en est pas de même pour les instruments ayant 7 cordes par accord. Le même code continue d’être utilisé et conserve la même fonction.
4.1. Partition de Elide Siviero :
"Quelle che rimane è l’amore"
Elide Siviero : Quello che rimane è l’amore
Extrait du recueil : Risolvo sulla Cetra il mio Enigma, 1999
Partition écrite pour cithare 6/7
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Dans l’édition de cette partition d’Elide Siviero, les cordes jouées sont les 4 dernières cordes de l’accord, c’est-à-dire les 4 cordes aiguës de l’accord.
Ici, le code n’est pas utilisé comme une aide de lecture en complément aux notes de l’accord sur une portée. Seul le code précise le fragment des cordes à jouer dans l’accord indiqué par la lettre le désignant.
L’accord est-il joué selon la place du graphisme des points et bâtonnets par rapport à la mélodie ? C’est-à-dire aux mesures 2 et 3, précisément sur la 2ème croche ? Le doute est vraiment permis.
4.2. Partition de Marcel Godard : Passacaille
Marcel Godard : Passacaille
Extrait du recueil : Treize Pièces diverses pour la cithare,1996
Partition écrite pour psaltérion 12/7
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Dans l’édition de cette partition de Marcel Godard, les 4 premières cordes sont arpégées librement. Il est intéressant d’observer que l’accord de RÉ est présenté avec 8 points et bâtonnets. Godard est ici très précis. Il relie exactement la représentation graphique du code à la réalité de l’instrument qui a 8 cordes sur un psaltérion 12/7.
4.3. Partition de Maguy Gérentet : Le Vieux chalet
Maguy Gérentet : Le vieux Chalet, 1990
Partition écrite pour cithare 6/7
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Dans l’édition de cette partition de Maguy Gérentet, les points et bâtonnets placés sous un accord sont encore combinés lorsque deux accords sont nécessaires, comme on le voit à la troisième mesure de cet exemple.
Sur ces 4 mesures, la première note de l’accompagnement est toujours un SOL. Mais elle est jouée dans deux accords différents : soit pour en faciliter le jeu, soit pour modifier la couleur de la note, soit pour augmenter la résonance par enharmonie de cette note. Les cordes aiguës de l’accord sont ensuite jouées.
Dans cet exemple, on peut bien repérer la difficulté de lecture entre :
- les notes qui se lisent de gauche à droite (sens de lecture) et
- les points et bâtonnets qui se lisent de droite à gauche selon le sens de la motricité.
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5. La persistance d’une difficulté : le jeu rythmique des notes de
l’accord
Nous l’avons déjà vu dans les exemples précédents. Les points et
bâtonnets ne permettent pas une lecture rythmique de l’accord.
C’est leur grande limite. Ce problème est bien visible dans les exemples ci-dessous.
Si l’accord d’une cithare avec 4 cordes par accord peut être écrit sur une seule portée en clé de FA, une cithare avec 7 cordes par accord nécessite l’utilisation de deux portées pour écrire le jeu rythmique de l’accord.
5.1. Accords de 4 cordes :
A l’Echo de ta Voix de Jacques Berthier
Jacques Berthier : A l’Echo de ta Voix
Extrait du recueil : Espaces de prière no 3
Copyright 1991, première édition 1995, réédition 2014.
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Dans cette partition de Jacques Berthier, les points et bâtonnets sont clairement une aide de lecture pour la corde à jouer dans l’accord. Le rythme est lu sur la portée, ce qui est bien visible à la quatrième mesure.
L’instrument a 4 cordes par accord.
5.2. Accords de 7 cordes :
"Je vous donnerai un Cœur de chair d’Hermann Oberson"
Hermann Oberson : Je vous donnerai un Cœur de chair
Extrait du recueil : Spirales vers l’intérieur
2005, Partition écrite pour psaltérion 12/7
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Dans cette partition d’Hermann Oberson, deux portées permettent d’indiquer toutes les notes de l’accord avec son jeu rythmique. L’aide de lecture des points et bâtonnets, utilisée par Berthier dans l’exemple cidessus, est inimaginable pour cette partition. Les points et bâtonnets produiraient une confusion inutile de lecture. Le cithariste doit lire les notes.
Hermann Oberson n’a jamais utilisé l’écriture des points et bâtonnets dans ses partitions. Et pour cause !
5.3. Accords de 7 cordes :
"En Toi, je me confie de Frère Jean de la Croix"
Frère Jean de la Croix : En toi, je me confie
Extrait du recueil : Ombres et Lumières, 2012
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Dans cette partition de Frère Jean de la Croix, le jeu de l’accord n’est pas
du tout écrit sur portée. Seule la mélodie est écrite sur sa portée en clé de
sol. Il est très intéressant de noter les différences d’écriture des accords sur ces 7 mesures.
1. L’accord de MI à la première mesure est indiqué par les points et bâtonnets. Ce sont les 4 cordes aiguës de l’accord qui doivent être arpégées.
2. L’accord de MI à la quatrième mesure doit être rythmé. C’est la numérotation des cordes qui est utilisée pour indiquer les cordes à jouer. Cependant, le rythme doit être « deviné » dans la logique de la mesure.
3. Le petit trait suivi des 3 chiffres indiquent une division des 2 temps en 4 valeurs rythmiques, c’est à dire des croches. Le petit trait indique ainsi la valeur rythmique d’un demi-soupir.
Dans cet exemple, c’est non seulement la limite des points et bâtonnets qui est visible, mais également celle d’une écriture de l’accord sans aucune portée dans le cas d’accords rythmés.
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6. Une autre utilisation :
les points et bâtonnets comme pictogramme
Placé dans un rectangle au début de la partition, ce pictogramme indique le type d’instruments pouvant jouer la partition, soit ici indifféremment des cithares et psaltérions ayant 7 et 4 cordes.
Maguy Gérentet : extrait du recueil :
"Vingt-deux Piécettes pour Cithare, 1996"
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7. Les points clés à retenir en résumé de l’analyse faite
Avant de présenter une autre option, un petit mémo :
1. Les points et bâtonnets peuvent offrir une aide de lecture pour des accords fragmentés et arpégés.
2. Avec des accords rythmés, ils ne peuvent pas indiquer la valeur rythmique des notes. Et c’est leur limite.
◦ Pour les instruments à 4 cordes par accord et pour certains compositeurs : ils complètent la lecture sur la portée. Le rythme est donné par l’écriture sur la portée.
◦ Pour les instruments à 7 cordes par accord et pour certains compositeurs : ils permettent d’éviter l’écriture de l’accord sur une ou deux portées. En ce cas, le rythme est donné par le graphisme et reste très imprécis.
3. Ils se lisent de droite à gauche dans le sens de la motricité du pouce, et pas dans le sens de la lecture de gauche à droite. Ce qui pose problème à bon nombre de citharistes. Sans doute en raison des deux directions des mouvements oculaires qui produisent une incohérence des informations à identifier pour le cerveau. Cette incohérence peut être ressentie comme une simple hésitation qui ralentit le jeu. Elle peut cependant aussi être ressentie par un sentiment désagréable comme un « trop » pouvant produire du découragement ou même de la colère chez certains citharistes débutants.
Si la lutherie a permis de nouvelles possibilités musicales, nous pouvons aussi dire que la créativité des compositeurs a aussi déployé ses ailes en offrant de nouvelles partitions. Cette créativité est aussi influencée par les compétences instrumentales des citharistes qui peuvent jouer des œuvres plus difficiles maintenant.
La conjonction de ces trois facteurs vient forcément modifier également l’écriture des partitions avec les codes spécifiques aux cithares. L’évolution de l’écriture des partitions est ainsi un processus normal. Un code d’écriture efficace dans les années 70 peut avoir perdu de sa pertinence une cinquantaine d’années plus tard.
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8. Une autre option : la portée rythmique
Apparue ces dernières années, sa clarté rythmique est son immense avantage, conjointement à une simplicité de lecture, étant donné qu’aucune hauteur de notes n’est indiquée.
Elle permet d’indiquer autant des accords arpégés que rythmés avec précision et avec de nombreuses variantes. Elle permet encore de numéroter les cordes précisément lors d’accords fragmentés ou rythmés sur une partie de l’accord.
- Les deux partitions ci-dessous de François Dugenet et de Catherine Weidemann illustrent cette précision et cette simplicité pour les citharistes-amateurs.
François Dugenet : Souvenir, C&H 130
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Catherine Weidemann : El Cant dels ocells, 2015
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9. En conclusion
Parler du code des points et bâtonnets, est-ce encore d’actualité
aujourd’hui ?
- Oui, sans aucun doute pour les citharistes. Parce qu’ils sont utilisés dans des partitions et qu’il faut pouvoir les décoder.
- Non, car pour simplifier l’écriture des accords, la portée rythmique est maintenant beaucoup plus précise et explicite, quel que soit le nombre de cordes par accord.
Dans l’optique de proposer des partitions simplifiées pour les amateurs, nous pouvons ainsi conseiller aux compositeurs et éditeurs d’utiliser dorénavant la portée rythmique et d’abandonner le code des points et bâtonnets.
Ce code d’écriture sera encore discuté lors des prochaines Journées de la Cithare en avril 2020 à En Calcat. Si vous ne pouvez pas y venir ou si vous avez des commentaires, le groupe Partitions accueille volontiers vos remarques permettant d’affiner encore cette analyse. Écrivez-nous simplement à l’adresse de l’association (page du sommaire de ce journal).