Hommage au Père Patrice - C&H 120
Hommage au Père Patrice
L’histoire du psaltérion d’En Calcat
Fr Columba - C&H 120
Les origines du psaltérion d’En Calcat sont étroitement liées à la réforme liturgique qui a suivi le Concile Vatican II.
Dans les années 70, le P. Abbé Dominique avait confié au frère Patrice, alors maître de chœur en communauté, la mission de faire travailler le nouveau répertoire de chants en français qui devait succéder au chant grégorien, et cela dans une grande partie des communautés monastiques.
Au cours de l’une de ces sessions, une religieuse vint un jour vers le frère Patrice et lui apporta un instrument inconnu: une cithare folklorique allemande, qui contenait 6 accords majeurs de 4 cordes.
En parallèle de ces sessions, les messes télévisées du dimanche montraient aussi ce type de cithare accompagnant le psaume. Mais, malgré le fait que ces diffusions faisaient connaître l’instrument, les communautés ne pouvaient guère l’utiliser, à cause du nombre limité d’accords, excepté pour les morceaux de méditation.
Un jour, une réunion de religieux se tint à l’abbaye de Ligugé; il s’agissait de discuter de l’intérêt de la cithare pour la liturgie. Comment l’utiliser et la développer dans les communautés ? Deux pistes se profilaient: augmenter le nombre d’accords; c’est ce que fit l’abbaye du Mont des Cats en mettant au point la cithare Kinnor, qui comprenait 19 accords (12 majeurs et 7 mineurs). L’autre solution consistait à doubler les accords majeurs de la cithare 6/4.

C’est à partir de ce moment-là que le frère Patrice eut l’idée, avec l’aide des frères Pascal et Marie-François, de superposer deux cithares, puis de les coller entre elles, afin de pouvoir disposer des 12 accords majeurs.
Pour les accords mineurs, sœur Marie de Jésus (moniale de Prouilhe) trouva un jour une astuce: un levier qui permettrait de faire varier la tierce d’un demi-ton, faisant passer ainsi l’accord de majeur en mineur. Mais ces essais ne donnèrent pas entièrement satisfaction. Le frère Patrice reprit cette idée en l’approfondissant, et développa ce que l’on appelle aujourd’hui les « leviers modulateurs ».
Malgré tout, le collage des cithares allemandes étant difficile à réaliser, les frères trouvèrent vite qu’il serait plus judicieux de concevoir eux-mêmes une caisse de cithare. Après quelques années, devant le nombre croissant de commandes, un menuisier de la région les aida à faire ce travail, et cela jusqu’à aujourd’hui.
En parallèle de cela, Maguy Gérentet mit tout son talent à faire connaître le nouvel instrument grâce aux sessions qu’elle organisait tous les ans à En Calcat.
Les frères appelèrent donc cet instrument « psaltérion », comme pour rappeler celui qu’utilisait le roi David quand celui-ci chantait les « psaumes » (psalmoi). Un nouvel instrument voyait le jour, qui avait pour but de permettre d’accompagner le chant de l’office, composé essentiellement de psaumes.
Le psaltérion connut différentes formes: tout d’abord la caisse « à cornes » du frère Pascal, inspiré de la cithare Kinnor. Comme menuisier, celui-ci construisit pendant quelques temps des caisses de ce type, sur lesquelles le frère Patrice montait les cordes. Mais le frère Pascal se rendit compte que cette forme, qui contenait beaucoup de courbes, était difficile à mettre en œuvre. Il décida donc de créer une nouvelle esthétique avec des lignes droites. C’est à ce moment que le psaltérion connut sa forme actuelle de rectangle tronqué, avec la descente sur le côté pour la partie mélodique.
Peu à peu, les manœuvres du montage s’affinèrent: les chevilles, qui étaient jusque-là enfoncées avec un marteau, au risque de taper à côté, seraient désormais enfoncées en force grâce à l’aide judicieuse d’un bras métallique conçu par le frère Marie-François. Les enroulements des cordes seraient faits, d’abord à l’aide d’un appareil actionné par le pied, puis de façon automatique grâce à un moteur de machine à coudre.
Aujourd’hui, après bien des tâtonnements et des modifications de toutes sortes (le frère Patrice avait une nouvelle idée tous les matins!), l’instrument a pris sa forme de croisière, même s’il continue d’évoluer à travers la recherche de prototypes permettant d’améliorer la sonorité et la légèreté de l’instrument.
En 35 ans, l’atelier a produit plus de 5000 psaltérions qui ont été vendus dans le monde entier. Désormais, les communautés qui chantent en français ont pratiquement toutes un instrument. C’est désormais depuis l’Espagne et l’Italie que les commandes continuent d’affluer. Depuis déjà plusieurs années, des laïcs accompagnent la liturgie avec le psaltérion. L’instrument, que le frère Patrice avait conçu spécialement pour l’usage liturgique, a depuis toujours été également utilisé pour jouer des morceaux.
Notre frère, qui a frôlé les 100 ans, rêvait d’être missionnaire. Il aura exaucé son rêve: bien qu’étant moine, il a pu porter le message de l’évangile et la louange du Seigneur jusqu’aux extrémités du monde! Cela a été une grande joie pour lui, et pour nous encore aujourd’hui. Le psaltérion, qui fait partie de la famille des cithares, a réussi à s’introduire dans tous les milieux, qu’ils soient chrétiens ou non, et à faire passer quelque chose de la beauté divine, celle qui peut toucher les oreilles et les cœurs en profondeur.
Frère Patrice – Le doigt de Dieu
Maguy Gérentet - C&H 120
Nous étions je crois quatre citharistes, par cette belle matinée du 13 décembre, à avoir pu faire le déplacement pour accompagner frère Patrice au petit cimetière d'En Calcat…
Il est clair que lorsqu'on meurt à un âge si avancé, il reste relativement peu d'amis et connaissances pour pouvoir participer aux obsèques, et moins encore lorsque s'ajoutent à la clé des contraintes de déplacement.
Mais ce matin-là dans l'église abbatiale, j'imaginais sans peine toutes les religieuses, citharistes ou anciennes des stages de chants, et autres personnes qui auraient rempli les bancs si cette cérémonie avait eu lieu " normalement ", il y a une vingtaine ou une trentaine d'années...
Qu'il me soit permis de citer, parmi des centaines d'autres, sœur Erika (Toulouse), Sœur Magdalena et sœur Marie-Albert (Suisse), Maurice Tesson (qui voulait des cithares toujours plus grandes), Françoise Jaguenaud (qui l’a si longtemps déchargé du service des cordes), sœur Marie de Jésus de Prouilhes (qui la première avait cherchée comment réaliser des modulateurs), sœur Pauline-Marie Duc et sœur Marguerite-Marie Croiset (professeurs avant moi), sœur Solange de Parthenay qui lui amenait tant d’élèves au stage de Lourdes, etc.: autant d'amis très chers et collaborateurs de frère Patrice, qui certainement se seront associés à notre prière de ce matin-là, sans pouvoir le manifester !
Nous nous étions concertés avec frère Columba pour que la cithare ait sa place dans la célébration: mais les citharistes présents venant de lieux très divers, il n'était pas envisageable de produire quelque chose ensemble… Considérant que le psaltérion avait été pensé en priorité pour l'accompagnement liturgique, notre choix s'est arrêté sur le psaume 91(92) qui convient si bien à frère Patrice…
D'un récit qu'il nous fit de sa vie, je retiens particulièrement ce qui me semble être le point névralgique, et l'objet de notre émerveillement en ces jours :
Que Dieu ait pu préparer durant quarante ans un moine de chœur*, particulièrement sensibilisé à la liturgie, à devenir pendant trente autre années travailleur manuel, au service de sa louange : une maturation quasi mosaïque !
A ce sujet d'action de grâces, doivent être ajoutés me semble-t-il, l'apparition synchronisée de la cithare comme instrument liturgique, selon le vœu du Concile; puis celle des accordeurs électroniques (1983), sans lesquels les efforts de lutherie auraient été relativement stériles; et enfin, par l'entremise de Marcel Godard, notre prise de contact (1983) qui inaugura notre collaboration: dans l'enseignement d'abord, puis autour de la revue, et enfin par la fondation des Amis de la Cithare.
Tout ceci s'est agencé d'une façon si étonnante, qu'il est impossible rétrospectivement, de ne pas y voir le doigt de Dieu !
La bénédiction d'un psaltérion
Conxa Adell i Cardellach - C&H 120
Je suis moniale bénédictine du monastère de Sant Pere de les Puel·les à Barcelone. Proche de chez nous, une religieuse cithariste m’avait enseigné les premiers pas.
Près de Barcelone, au sommet d’une petite montagne, nous avons une petite communauté de quatre moniales au sanctuaire de Puiggraciós où il y avait une moniale bénédictine qui jouait déjà la cithare et une jeune femme qui apprenait aussi.
Le samedi 8 mars 2008, toutes les quatre, nous sommes allées à l'abbaye d’En-Calcat (aller et retour en un jour) pour acheter deux psaltérions avec tous leurs compléments. C’était la première fois que j'étais là.
Les deux de Puiggraciós voulaient acheter les premières. Et nous, nous attendions patiemment. Lorsqu'elles transportaient déjà leur psaltérion à la voiture, le père Patrice me montra le mien.
Alors je lui dis :
- Je voudrais que vous le bénissiez.
Il me regarda surpris :
- Ici ?
- Oui.
- C’est la première fois qu’on me demande ça !
Alors je suis moi-même la personne surprise. Il fait le geste de retirer son tablier, et je lui dis :
- Mais non, avec votre vêtement de travail, à l'atelier où fut construit l’instrument, et par la personne qui l’a fait.
Alors le père Patrice fit une petite prière et bénit mon psaltérion après un petit et profond silence qui nous a connectées ensemble avec la présence de Dieu.
Renseignements :
http://www.barcelonaturisme.com/wv3/fr/page/500/le-monastere-de-sant-pere-de-les-puelles.html
Question de modulateurs
Catherine Weidemann - C&H 120
- Père Patrice, certains disent qu'il faut toujours remettre les modulateurs en majeur quand on a fini de jouer. En tant que musicienne, je ne comprends pas cette règle. Mais pour vous, en tant que luthier, est-ce que cette pratique a un sens ?
- Oh vous savez. Nous avons déjà beaucoup de règles. Il ne faut pas encore en rajouter !
En souvenir du Père Patrice
Marcelle Blanc - C&H 120
C'est à En-Calcat, 1986, que j'ai eu la joie de participer à mon premier (vrai) stage de cithare et c'est là que j'ai acheté ma première grande cithare à un Cithariste qui en proposait une d'occasion.
Quasi débutante, je me suis trouvée dans le groupe animé par Frère Patrice. Maguy gardait, sans doute, les plus avancés.
Quel bonheur de voir que le Père Patrice jouait avec tous ses doigts, réponse à la question que je m'étais posée au tout début.
Je n'ai plus souvenir de ce que nous avons joué pendant ce stage mais de quelques anecdotes: au début d'un après-midi, un peu excédé, je pense, par les questions d'une participante, il nous a quittées brusquement, nous laissant pantoises devant nos cithares. Quelque temps après, il est revenu tout contrit, nous avouant qu'il n'avait pas fait de sieste!
Un grand moment a été la visite de son atelier. Devant une petite fenêtre, son coin de travail encombré d'outils... Mais ce que je n'oublierai jamais, c'est la vue des araignées qui y avaient tissé leurs toiles et semblaient très heureuses d'être là.
Je crois bien que, des années après, une cithare 6/7 qui m'avait été donnée par une amie a été la dernière cithare à laquelle le Père Patrice a posé les modulateurs, par amitié pour un de ses jeunes frères cithariste, de l'Abbaye de Melleray, avec lequel je travaillais. Je l'aime bien aussi cette petite cithare...
Merci, cher Père Patrice ! Marcelle Blanc
Dieu n'a pas d'oreille !
Catherine Weidemann - C&H 120
Lors de la commande de mon premier psaltérion, le Père Patrice m'avait dit qu'il me l'enverra par la poste. Pour moi, c'était simplement impossible de ne pas faire ce déplacement important de quelques 700 kilomètres, et autant pour rentrer. Une sorte de pèlerinage !
En tant que violoniste habituée aux luthiers, j'étais bien sûr surprise de ne pas pouvoir choisir mon instrument parmi plusieurs, afin d'écouter lequel parlerait à mon cœur. Car trouver son instrument, c'est une longue histoire intérieure. Mais les règles du monastère m'ont contrainte de renoncer à ce premier moment d'intimité.
En ce temps, il n'était pas question de venir visiter l'atelier, même si mon mari m'accompagnait. Père Patrice est ainsi venu dans un parloir où il m'a donné mon psaltérion en cherchant le dialogue.
Quand il sut que j'étais violoniste, il me posa de nombreuses questions précises sur ma vision de la technique en tiré (il jouait lui-même en tiré). À la fin de cet entretien très riche, il me rappela l'essentiel :
- Mais vous savez, Dieu n'a pas d'oreille !
Il n'entend qu'une seule musique, celle de votre cœur !
J'ai pu parler un peu avec lui
et cela reste un grand souvenir
Janine Heer - C&H 120
J'apprends avec une grande tristesse le décès de Père Patrice que j'ai peu connu quand j'étais dans son monastère où je l'ai vu travailler dur pour fabriquer nos cithares.
Je pense d'ailleurs qu'il a fabriqué la mienne. Je l'ai peu connu mais j'ai pu parler un peu avec lui et cela reste un grand souvenir.
Mais je n'ai malheureusement pas assez à partager.
Je n'ai cependant jamais oublié cette rencontre et son talent mis au service de la musique. , janine heer <[email protected]>
Frère Patrice - Question de modulateurs
Marysia Szumlakowska de Yepes
depuis l’Espagne à Madrid - C&H 120
Ce sont les Fraternités de Jérusalem, dont je fais partie dans les Fraternités Evangéliques qui m’ont dirigée à l’Abbaye d’En Calcat pour commander la cithare il y a un peu plus de dix ans.
La première fois que je l’ai rencontré frère Patrice, ce fut quand je suis venue chercher la cithare qui m’attendait prête. Je venais la chercher depuis Madrid.
C’est frère Patrice qui m’a accueillie avec son sourire bienveillant et sa grande gentillesse. Il m’a fait visiter tout l’atelier et m’a montré comment se construit une cithare. J’ai trouvé un frère tellement jeune d’esprit, accueillant, plein de projets d’innovation et d’enthousiasme. Il m’a parlé de Maguy Gérentet avec une admiration et une affection profondes. C’est aussi lui qui m’a donné son adresse et m’a conseillé d’assister à ses cours pour apprendre la cithare. C’est ce que j’ai fait et je lui en serai reconnaissante toute ma vie. J’ai suivi deux stages avec Maguy à En Calcat et j’ai continué les cours avec elle à Lourdes, à Madrid, à Lyon.
Lors des stages, j’ai pu apprécier le respect et l’affection que tous deux se portaient. Frère Patrice venait aux concerts des élèves et c’est Maguy qui organisa avec nous ses élèves, le concert surprise et hommage pour les quatre-vingts ans de Frère Patrice. Il en fut vraiment touché et ravi. Souvent Maguy nous racontait tant de belles expériences de leur collaboration pour la construction de la cithare, tout leur travail pour faire connaître l’instrument. Jamais on ne sera assez reconnaissant pour ce que ces deux êtres exceptionnels ont réalisé ensemble .La cithare est un instrument qui est présente dans presque tous les monastères, soutient la prière et apporte tant de joie à ceux qui en jouent.
Frère Patrice, j’espère que vous avez déjà un atelier de cithares au Ciel et que les anges en sont ravis ! Merci frère Patrice pour l’offrande de votre vie qui a semé votre vie !