ECRITURE MUSICALE - C&H 126
Posté le 05/01/2025
ECRITURE MUSICALE
& BASSES-CONTREBASSES
Analyse à partir du "Veni redempor gentium"
Catherine WIEDEMANN - C&H 126
La lutherie et la codification des basses et contrebasses
Les systèmes de notation pour cithare ont cherché à simplifier la lecture des notes dans le but de rendre la musique accessible aux amateurs. Ils sont très étroitement intriqués dans l’évolution de la lutherie d’une part, et celle de la technique instrumentale d’autre part.
Lorsque le psaltérion 12/7 est né aux ateliers d’En Calcat, avec ses trois contrebasses supplémentaires (DO, DO dièse et RÉ) et une contrebasse en moins (celle de MI) par rapport à la cithare 7/7, il a fallu trouver un système simple de notation. La contrebasse étant un ajout par rapport aux autres accords, il a été décidé que cette contrebasse serait notée par un zéro ou par une apostrophe. Il serait intéressant de retrouver l’historique de ces décisions, tant sur le plan musical, de la lutherie que du codage des partitions.
La technique instrumentale et la codification des basses-contrebasses
D’autre part, au fil des ans, la technique instrumentale ne s’est pas limitée à un simple arpègement global des accords. Des compositeurs et arrangeurs ont cherché et entendu d’autres couleurs instrumentales pour accompagner autrement une mélodie.
Et ainsi, d’autres manières de jouer les accords sont apparues, rendant certaines décisions de codage imprécises, désuètes ou même caduques. Dans l’histoire de la musique, ce n’est ni la première ni la dernière fois qu’une codification est abandonnée au profit d’une autre. Et il en est ainsi dans tous les processus d’évolution des techniques instrumentales ; les cithares et psaltérions n’y échappent pas.
De mon côté, j’ai cherché à intégrer ce consensus d’une codification de la contrebassepar un zéro. Mais avec l’évolution de l’écriture de mes accompagnements, je me suis trouvée devant les limites de mon cerveau, qui n’a pas pu automatiser que la première corde de l’accord de DO soit écrite par le chiffre 0, la deuxième par le 1, et ainsi de suite. Habituée à observer la fluidité de mes automatismes pour mettre en évidence mes difficultés instrumentales avec une loupe, j’ai pu sentir avec mon arrangement de Greensleeves ce concret de la réactivité de mes doigts, lorsque les cordes des accords avec contrebasse sont numérotées de 0 à 7 ou de 1 à 8. La différence, fondamentale et très importante, m’a persuadée que la décision prise il y a de nombreuses années devait être analysée et remise en question.
Le zéro dans les mathématiques
Le nombre zéro exprime en mathématique une quantité nulle ou une absence de quantité. En soi, c’est donc une négation de la quantité. Cette absence d’objet exprimée par le zéro représente un degré d’abstraction beaucoup plus élevé que celui des autres nombres.
Sur notre psaltérion, la contrebasse est une corde bien réelle… et même la plus grosse de l’accord. Selon la logique mathématique, le zéro ne peut donc pas la représenter en tant qu’une absence de corde. Si on venait à dire que notre pouce est le doigt zéro, on compterait alors les doigts par les nombres 0–1–2–3–4. Une numérotation qui nous fait sortir de la logique des nombres, car nous avons bien cinq doigts !
Une différence à expérimenter
En définitive, la pertinence de la différence de numérotation des cordes 0-7 ou 1-8 doit être expérimentée. Elle peut être sentie par les psaltéristes ayant déjà un certain niveau instrumental pour pouvoir jouer de manière sélective certaines notes dans l’accord en lisant la partition. Dans ce contexte, la cohérence doit être complète entre ce que les yeux voient, d’une part sur la partition, et d’autre part sur l’instrument. Cette expérimentation étant importante à faire, la partition est ici présentée avec les deux types de numérotation.
La numérotation des cordes et la lutherie de nos psaltérions
La numérotation des cordes pose encore le problème de nos instruments, qui, selon le luthier, ne vont pas avoir la même succession de cordes ! C’est essentiellement l’accord de LA qui est un vrai mouton noir ou l’objet de litiges entre psaltéristes. Les instruments de Panetti sont construits avec un arpègement montant régulier (LA-LADO-MI), ceux d’En Calcat, dans la tradition des cithares allemandes, avec une irrégularité (LA-DO-LA-MI)… Ainsi, l’accord de LA (mesure 15 du Veni redemptor gentium ) ne va pas avoir la même numérotation si l’instrument provient de chez Panetti ou En Calcat ! Les mêmes notes LA-DO sont numérotées 1 et 3 pour un Panetti, et 1 et 2 pour un En Calcat... Continuons encore notre analyse avec un autre élément d’écriture : le tiret.
L’accord fragmenté
Pour le jeu partiel d’un accord arpégé, le terme accord fragmenté est utilisé. Traditionnellement, la basse (ou contrebasse) est jouée en premier, puis le reste de l’accord est arpégé. Dans de nombreuses partitions, le signe d’un triangle codifie l’arpègement de l’accord de la deuxième à la septième corde. Cette notation est liée à l’accompagnement folklorique des mélodies d’où notre instrument est issu. Si l’arrangeur ou le compositeur cherche d’autres couleurs, le signe du triangle devient alors imprécis ; une autre codification devient nécessaire.
Pour obtenir davantage de souplesse pour codifier un accord fragmenté, la numérotation des cordes avec le signe traditionnel de l’arpège semble la plus claire et la plus logique. On trouve alors deux chiffres séparés par un tiret, par exemple 5-7. Dans ce cas, le tiret indique un arpégé de la cinquième à la septième corde. Les chiffres se trouvent au-dessus de la lettre indiquant l’accord.
Une autre signification du tiret – mettre en évidence une difficulté
Dans la notation des doigtés pour plusieurs instruments, le tiret a souvent la fonction de mettre en évidence un certain type de difficulté. Par exemple, un déplacement de la main, ou un enchaînement de doigts avec des écarts particuliers qui ne correspondent pas à une suite de notes conjointes. Le tiret signale ainsi un autre mouvement qui implique une coordination motrice particulière.
Le tiret pour les sauts de cordes dans l’accord
Dans cette logique, le tiret peut aussi mettre en évidence le jeu partiel de l’accord avec des cordes sautées, comme on peut par exemple en trouver aux mesures 10-12 du Veni redemptor gentium. Le pouce ne joue pas toutes les cordes de l’accord, mais apprend à passer par-dessus une/plusieurs cordes sans la/les jouer.
Avec une numérotation des cordes de 1 à 8, le cerveau calcule très rapidement le nombre de cordes à sauter. Le tiret joue son rôle d’indicateur de la difficulté. Comme les numéros sont espacés en-dessous des notes, il n’y a pas de doute possible avec l’arpègement de l’accord fragmenté où les numéros sont rapprochés au-dessus de la lettre indiquant l’accord.
Avec une numérotation des cordes 0 à 7, le cerveau est arrêté et ne peux pas calculer rapidement le nombre de cordes à sauter. Conjointement au manque de cohérence visuelle entre les cordes et la codification, on peut alors avoir besoin d’une béquille supplémentaire en indiquant le nombre de cordes sautées par le nombre de tiret correspondant qui vont alourdir l’écriture.
La codification des contrebasses – un espace de dialogue
Il m’apparaît aujourd’hui nécessaire de remettre en question la codification des contrebasses par le zéro ou l’apostrophe, en évitant de mettre à l’index qui que ce soit. Ensemble et/ou chacun pour soi, avec l’observation fine de notre corps-jouant, nous devons ouvrir un espace de dialogue bienveillant afin de tirer certaines décisions personnelles et/ou communes de codification.
Quelle que soit notre décision personnelle et en fonction des caractéristiques de notre instrument, il ne faudrait jamais hésiter à offrir à nos yeux cette clarté d’écriture indispensable à la logique de notre cerveau pour que nos automatismes puissent se déployer sans entrave. Le correcteur blanc liquide, comme du tipp-ex, devient alors un outil incontournable qui devrait faire partie de notre trousse, au même titre que le crayon et la gomme.
Un autre arrangement avec cette même mélodie
Ceux qui aiment cette mélodie seront peut-être intéressés à jouer un autre arrangement que celui proposé ici. Dans cette publication (sous son titre latin aux éditions Psalmos), la mélodie de Luther est développée mélodiquement créant une pièce qui à la fois se développe dans ses sonorités, et qui peut aussi être jouée en groupe avec 5 voix superposables. Cette mélodie a illuminé mon temps de l’Avent et de Noël 2017. Je souhaite à chacun d’entre vous de partager cette joie profonde qui m’a habitée.