Que faire et comment procéder
avec les vieilles cithares ?
Groupe de rédaction - C&H 142
Merci à Hildegard de nous avoir transmis son expérience et sa joie de jouer cette vieille cithare offerte. C’est l’occasion de compléter notre rubrique Lutherie, réclamée par des adhérents. Nous avons ainsi demandé à Alain Wetterwald de nous expliquer la procédure Pro pour réhabiliter nos vieilles cithares. Si certains d’entre nous ne vont pas oser se lancer, sa réponse met cependant en évidence l’importance de contrôler l’humidité de la pièce où notre instrument se trouve. Et c’est une évidence, une vieille cithare ne devrait jamais être entreposée dans un grenier ! MERCI Alain pour ces explications !
La rubrique Lutherie se poursuivra également dans notre prochain numéro.
Réponse d’Alain Wetterwald, luthier www.zithe r-etoiledumatin.com
Chère Hildegard,
J’aime beaucoup comment vous décrivez le phénomène de dessication du bois. C’est exactement ce qu’il se passe au niveau de la caisse de l’instrument.
Le traitement par hydrothérapie que vous apportez est exactement ce qu’il faut faire : réhydrater le bois. Je suis d’accord sur le diagnostic, mais pas sur le traitement.
Vous avez constaté que la réhydratation est longue, effectivement la patience est de mise, car ce qui est en jeu, ce sont les collages anciens de la caisse devenus très fragiles avec le temps. Un tout petit choc au bon endroit permet de décoller le fond d’un seul coup.
J’ai constaté bien souvent au décollage des fonds de cithare, que la colle a complètement disparu, visuellement du plan de collage. La colle semble s’être comme « évaporée ».
La dessication du bois provoque plusieurs phénomènes :
- Le fond se fend dans le sens de la longueur des cordes. Et même le contre-plaqué du fond des cithares plus récentes arrive à céder.
Tant mieux si le fond s’est fendu, car cela a très peu d’importance pour le son de votre instrument. L’arrachement des plans de collage ne s’est alors pas produit. En d’autres termes, si le fond ne s’était pas fendu, le cadre et le fond se seraient désolidarisés. Pour que le fond de l’instrument se fende, il faut que la dessication du bois développe une force considérable de rétraction, cette force se libère grâce à la fente qui se crée.
- Les chevilles sont folles à l’accordage.
La dessication de l’instrument se produit sur l’ensemble des éléments de la caisse, fond montant, cordier, table d’harmonie en même temps. L’hygrométrie est la même quel que soit le matériau, hêtre ou contre-plaqué, tout devient avec le temps aux mêmes degrés d’hygrométrie. Les très vieux instruments sont en dessous de 20 % d’humidité. En lutherie, nous travaillons le bois sec à cœur à un taux de 35 %, c’est déjà très très sec comme pourcentage.
Comment agir ?
Vous comprenez que le fait de réhydrater le bois de la caisse va provoquer non plus une rétractation des fibres, mais au contraire un gonflement de celles-ci. Ce gonflement, s’il est mal géré, peut simplement faire éclater votre instrument.
Il va falloir y aller tout doucement.
Matériel : Une vieille valise en plastic compatible avec la taille de votre instrument. Un chiffon. Un aérographe. Du vernis polyuréthane à parquet ou mieux à bateau, du solvant. Attention surtout pas un vernis à base d’eau, voir les compositions sur l’étiquette. Un hygromètre basique.
1. Détendre l’ensemble du cordage
2. Laisser les cordes acier pleines et les huiler légèrement pour empêcher qu’elles ne se piquent de rouille. Déposer les cordes filées qui de toute façon sont incapables de supporter l’humidité, car le filage cuivre n’est pas étanche et l’âme acier de la corde sous le cuivre va se piquer de rouille. Ne pas hésiter à changer à cette étape vos cordes cuivre. Vous les remonterez en dernier, après le vernissage interne de la caisse. Enlever les chevilles des cordes filées. Ainsi, les trous des chevilles sont des portes d’entrée pour l’humidité, devenues très précieuses pour la réhydratation du cordier.
3. Ne surtout pas mettre le chiffon humide au contact direct de l’instrument, mais dans un second compartiment de la valise. L’humidité va de toute façon atteindre l’ensemble de la valise. Mettre l’hygromètre à côté de l’instrument, pas du côté du chiffon. Ouvrir de temps en temps votre valise et
s’arranger pour que l’hygrométrie atteigne 65 %, mais surtout pas plus !!!
Et laisser faire… une semaine, un mois, voire plus si nécessaire. Le boiscœur va effectivement recapter l’humidité et se saturer vers 40 % d’hygrométrie, quoi que vous fassiez.
De toute façon, plus vous prenez de temps pour cette opération, plus vous donnez à votre instrument de chance de survie.
4. Une fois cette opération faite, soit votre instrument est complètement décollé, soit une nouvelle jeunesse est possible : miracle, les chevilles ne tournent plus dans leur logement ! S’il était fendu au fond, la fente a disparu !
Super, c’est ce que l’on voulait ! Mais cela ne va pas suffire, car une fois remise à l’air ambiant, le processus inverse va se reproduire, et votre instrument dans un ou deux mois sera de nouveau trop sec.
5. Le yo-yo n’est pas bon à entretenir. Pour cela il faut vernir l’intérieur de votre caisse pour qu’elle garde son hygrométrie beaucoup plus longtemps.
Prenez un peu d’eau et avec un pinceau ou éponge humide, décollez l’étiquette du fond de l’instrument.
Vernissage à l’aérographe, de l’intérieur de la cithare. C’est facile à faire. Le vernis va se déposer par gravité sur les flancs internes des montants et sur le fond de caisse. Laisser sécher. Reprendre l’opération de vernissage en retournant la cithare, cordes au contact de votre table avec le fond externe de l’instrument vers vous. Vernir à nouveau par-dessous, afin que le vernis vienne redescendre par gravité sur la table d’harmonie. Renouveler l’opération si nécessaire deux jours après.
Recoller votre étiquette en fond d’instrument. Si vous n’aviez pas décollé l’étiquette, l’instrument continuerait à ne pas être étanche à cause de la surface sous l’étiquette qui serait restée non-vernie.
Remettre en tension les cordes d’une façon très progressive sur une semaine.
Votre instrument est devenu beaucoup plus « étanche » et devrait se comporter comme un instrument « neuf ». Mais n’oubliez pas que les collages, eux, ont l’âge de conception de votre instrument, aussi ne demandez pas à votre instrument l’impossible. Ne l’accordez plus aussi haut, descendez l’ensemble du cordage d’un demi-ton. C’est déjà énorme comme traction économisée. Votre instrument va durer beaucoup plus longtemps.
Voilà Hildegard. Je vous félicite pour votre diagnostic et j’espère avoir répondu aux questions fondamentales que soulèvent vos constatations.