Modération asynchrone
d’une table-ronde différée
Margarida BARBAL - C&H 133
Chères amies/amis, merci de m’avoir invitée à prendre part aux Journées de la Cithare et de m’avoir confié le rôle de modératrice de cette table-ronde.
Dans notre réalité de ce printemps -qu’on n’aurait jamais pu imaginer tel qu’il a vraiment été- je me réjouis de la lecture de vos présentations au sujet de l’écriture et la codification des accords.
Chacune de vous parle de son rôle, son expérience, sa connaissance et ses idées. Tout cela est très enrichissant !
Peut-être pourrais-je apporter à mon tour ma vision et mon expérience en tant que musicienne et spécialiste en didactique de la musique, centrée dans le domaine des techniques corporelles conscientes.
Organologie (1)
Ce qui m’a frappé, quand il y a six ans j’ai visité l’atelier de construction des cithares à En Calcat et j’ai écouté frère Columba et frère Patrice, c’est l’impression d’être témoin d’une aventure de lutherie, de vrais travaux en cours. J’ai pu sentir que la cithare, comme nous la connaissons aujourd’hui, est un instrument en évolution qui est en train de chercher des solutions constructives.
L’organologie nous montre que les instruments évoluent. Ceux qui sont arrivés à des versions très satisfaisantes ont subi un parcours très long, et si l’on revient 300 ans auparavant, la version existante de cet instrument était assez différente du modèle actuel.
Dans certaines familles d’instruments, il y a beaucoup de modèles qui coexistent, comme les harpes anciennes, ou dans la famille des clarinettes, le chalumeau ou le corno di basetto. Il y a des interprètes qui se sont centrés dans un seul des modèles, et d’autres interprètes qui jouent une diversité de modèles d’une famille d’instruments, parfois avec beaucoup de différences entre eux. La décision d’en jouer un ou plusieurs, c’est un choix personnel qui, en soi, n’est ni meilleur ni pire. Les différences entre les instruments, c’est un fait, et l’évolution de la cithare aussi.
Cette recherche des codes d’écriture est à situer dans ce contexte, et est ainsi tout à fait normale. Rien n’est indiscutable, permanent ou pérenne.
Deux niveaux pour penser l’écriture musicale
L’écriture musicale en Occident a subi une grande évolution du IXe siècle jusqu’à nos jours. Dans la période classique, aux XVIIIe et XIXe siècles, on a eu l’impression d’une stabilisation et adéquation de l’écriture, qui ne s’est pas complètement montrée adéquate aux besoins du XXe siècle, voire du XXIe.
Vis-à-vis de l’écriture, il faut considérer deux niveaux : celui objectif, c’est-àdire, l’écriture qui montre la musique, et celui didactique, c’est-à-dire, l’écriture qui aide à l’apprentissage de la musique et au jeu.
Le niveau objectif est celui du domaine des musiciens. Il se sert des codes les plus orthodoxes, connus et généralisés de l’écriture musicale. Plus l’écriture pour un instrument utilise ce niveau, plus les partitions peuvent être comprises par les musiciens. La base de cette écriture, ce sont les notes écrites dans les portées qui montrent la hauteur réelle avec le rythme.
Le niveau didactique peut se servir d’autres symboles pour aider les débutants, les personnes avec peu d’expérience dans la lecture musicale ou pour faciliter le jeu. L’indication du doigté, par exemple, est un code très important, qui appartient à ce niveau. Dans la littérature du piano, le doigté est un sujet en soi, qui génère des heures de discussion, et a beaucoup d’implications physiologiques et expressives. Mais sur la partition, le doigté n’est pas la musique. Il y a des interprètes qui effacent le doigté avant de lire la partition.
Du point de vue de la codification, la numérotation des cordes de la cithare appartient à ce niveau d’aide pour l’interprète, et elle est reliée au modèle concret de l’instrument. Je trouve très intéressant tous les arguments historiques, organologiques, musicales, neuromotrices… que vous avez apportées, chacune y défendant sa logique. Cependant, même si vos arguments sont intéressants et nécessaires, ce n’est pas un point crucial qui mérite de s’affronter ou d’y mettre trop d’énergie émotionnelle. Car nous avons beaucoup de chance d’avoir une association qui soit ouverte aux différences : ce qui nous enrichit, c’est l’étude, la compréhension, l’élargissement et le partage de nos points de vue, qui doivent être au-dessus du besoin de trouver-une-solution-pour-tous-qui-soit-masolution.
Je suis certaine que la coexistence de professionnels qui cherchent des chemins différents est essentielle dans une association. Les pionnières sont des personnes courageuses qui cherchent et osent expérimenter, se tromper, communiquer, partager…et le fruit de leur travail et de leurs recherches nourrit chacun d’entre nous. Merci !
Sciences humaines et apprentissage – une grande ouverture
Actuellement, les sciences humaines ont de grands défis : tout d’abord la connaissance apportée par la recherche scientifique augmente de jour en jour.
Cette connaissance, fournie par différentes disciplines comme la physiologie, la psychologie, la pédagogie, la neuroscience…peut être très précieuse pour nous les musiciens, les professeurs, et pour tous ceux qui se posent des questions et qui cherchent à comprendre comment on peut élargir la capacité d’apprentissage. Car la plasticité de notre cerveau est toujours bien plus grande qu’on ne le croit, et apprendre modifie notre cerveau.
Il nous faut de l’ouverture et de l’humilité quand nous rentrons dans le domaine de l’apprentissage.
En ce sens, du point de vue du psaltériste ou du cithariste, la première démarche est toujours l’écoute du corps, et l’engagement de tout son corps dans la fluidité du mouvement. Depuis le concept de l’énactivisme (Varela, Thompson, Rosch, 19912), la cognition est comprise comme étant incarnée, c’est-à-dire comme la recherche constante ou la création de sens qui caractérise la personne en interaction avec son environnement physique et social. En d’autres termes dans le contexte de la musique, la cognition émerge de l’expérience corporelle en contact avec l’instrument.
Par conséquent, être en recherche est vraiment passionnant. Et en plus, d’avoir l’opportunité d’un espace de communication et de partage pour continuer à avancer dans la curiosité et la joie, c’est vraiment une immense chance pour chacun d’entre nous. L’association des Amis de la Cithare, qui nous offre maintenant cet espace, est vraiment un cadeau pour nous tous ! Merci.
Note de bas de page
1. Étude des instruments de musique et de leur histoire