NUMEROTATION DES CORDES DANS LE VENI REDEMPTOR GENTIUM - C&H 133
Posté le 18/02/2025
La numérotation des cordes
dans l‘exemple concret du
Veni Redemptor Gentium
Catherine Weidemann - C&H 133
Si je suis arrivée en 2016 à essayer de modifier la numérotation des cordes des accords, ce n’est pas du tout dans un esprit de controverse. Je voulais tout simplement apprendre l’arrangement que j’avais écrit du Greensleeves to a ground avec ses variations bien connues.
Cette œuvre fait partie des traditionnels du répertoire du violon. C’est ainsi une mélodie qui était déjà bien construite dans mon cerveau. La partie du clavecin est un accompagnement très riche et orné. Même si je n’ai jamais joué moimême cette partie, elle est cependant aussi inscrite dans mon oreille pour l’avoir jouée en duo de nombreuses fois avec un ou une collègue musicien.
La partie du clavecin n’est pas transposable telle quelle au psaltérion. Cependant, mon imaginaire musical m’invitait à trouver des couleurs très différentes de celles qui sont habituelles dans notre répertoire. J’ai ainsi tout simplement suivi cet imaginaire sans trop me préoccuper de la technique instrumentale.
Il en est sorti un jeu des accords très précis et différencié, avec une sorte de petite dentelle : l’accord joué avec l’ordre habituel de ses cordes était rompu. L’accompagnement entrait dans un dialogue beaucoup plus fin avec la mélodie.
J’ai tout d’abord écrit la partition avec une numérotation zéro pour les contrebasses de DO et RÉ. Au fil des semaines, je me suis aperçue que je butais toujours sur cette contrebasse notée 0, aux mêmes endroits, qui pourtant n’étaient pas vraiment difficiles.
J’aimerais encore ajouter que j’apprends très rarement mes partitions par cœur.
Ainsi, mes yeux restent toujours en relation directe avec mes doigts. Cet aspect est important à relever.
Pour moi, l’information visuelle de la partition enclenche l’audition intérieure et toute la chaîne sensorimotrice qui aboutit au jeu des doigts. La cohérence entre les informations sensorielles (visuelles, auditives et kinesthésiques) est extrêmement importante dans mon jeu.
Lorsque je bute sur une difficulté, je cherche à comprendre quelle est l’information sensorielle qui n’est pas en cohérence avec les autres. Cela fait en quelque sorte partie de ma didactique personnelle d’apprentissage.
Avec cette question, j’ai analysé ces endroits difficiles. Et j’ai fait alors l’hypothèse que la numérotation de la contrebasse par un zéro pouvait être à l’origine de mes difficultés. Dès le moment où l’hypothèse est posée, il est très simple d’essayer. J’ai donc modifié la numérotation en gardant soigneusement une copie de la numérotation avec le zéro.
Je n’ai jamais pensé que ce simple changement puisse avoir un effet aussi immédiat. Je trouvais la fluidité dans mon jeu sans aucune hésitation sur la corde à jouer…
J’aimerais encore ajouter que je ne veux convaincre personne. C’est une expérience à faire pour les psaltéristes qui ont envie de goûter aux couleurs d’un accompagnement plus différencié.
C’est aussi mon expérience que je veux transmettre. Car les difficultés sont nombreuses pour vous, citharistes amateurs. En connaissant mon expérience, vous pouvez peut-être dépasser certaines de vos difficultés de manière très simple.
Dans notre culture où le canal visuel est très prédominant, on peut penser que
ce ne sont pas que quelques citharistes qui pourraient avoir la même difficulté que moi, mais une grande majorité d’entre vous.
Une partition pour quel instrument ?
Un simple changement de numérotation à cause des contrebasses sur le psaltérion 12/7 entraîne de nombreuses conséquences.
Si on regarde simplement les trois instruments produits ici à En Calcat, nous avons une cithare 7/7, un psaltérion 12/4 et un psaltérion 12/7. En raison des cordes sur ces trois instruments différents, un arrangement même très simple avec des accords arpégés va sonner différemment selon l’instrument 1.
Au niveau associatif, il nous faudrait un document pour montrer ces différences de lutherie. Car dans vos groupes de citharistes, vous y êtes forcément confrontés. Et pour les compositeurs qui s’intéressent à notre instrument, l’imaginaire musical est relié à un instrument très précis. Il est faux de penser qu’un même arrangement puisse convenir pour toutes les cithares, surtout lorsque l’on quitte les arrangements simples d’accords arpégés, avec ou sans contrebasse.
Personnellement, j’écris pour le psaltérion 12/7 construit à En Calcat. Et pour les cithares 7/7 ou les psaltérions 12/4, j’écris des arrangements ou des adaptations lorsque c’est possible. Ces instruments sont ainsi complètement intégrés dans mon travail. Je propose des partitions spécifiques avec lesquelles le cithariste amateur n’a plus de question à se poser pour savoir ce qu’il doit jouer. Et vous êtes nombreux à me demander : Qu’est-ce que je peux faire pour jouer cette partition, je n’ai pas ces notes ? Si un professionnel s’était occupé de vos questions tout à fait pertinentes, plusieurs d’entre vous seraient très heureux !
Pour moi, l’écriture spécifique à un instrument s’impose dans mes éditions. Certaines pièces ne sont tout simplement pas jouables par un autre instrument qu’un 12/7, si ce n’est par un instrument encore plus complet, comme le 12/8 de Panetti.
Par contre, les pièces qui peuvent être transposées pour une 7/7, ou adaptées pour un 12/4, doivent être proposées dans une écriture spécifique pour chaque instrument.
Certes, cela implique un grand travail d’édition pour chercher l’intégration des
différentes cithares actuelles. Le chemin d’un code unique et d’une partition unique pour toutes les cithares me semble être un cul de sac qui ne peut que restreindre la créativité des compositeurs et des arrangeurs.
J’ai commencé cette écriture spécifique pour les différentes cithares avec les deux recueils Regards et Roses en hiver. Avant, il y avait 2 recueils. Ceux qui passaient d’un 12/7 à une 7/7 me disaient : Il faut alors que j’achète un nouveau recueil ? Et maintenant que vous avez un recueil unique, j’entends : Il y a des partitions dont je n’ai pas besoin ! Il est difficile de contenter tout le monde.
Le travail que cela implique pour intégrer toutes les cithares n’est peut-être pas apprécié à sa juste mesure. Aux Éditions Psalmos, chaque publication propose la partition originale pour 12/7 et lorsque c’est possible, un arrangement ou une adaptation pour 7/7 et 12/4.
Le Veni Redemptor Gentium
Arrivons-en maintenant au Veni redemptor Gentium que vous avez préparé pour ces Journées de la Cithare et paru dans le C&H n° 126 septembre 2018. Cet arrangement a été écrit après le Greensleeves to a Ground. Il n’est pas très difficile, sans être cependant à la portée d’un débutant.
Comme vous avez reçu les deux possibilités de numérotation des cordes, j’espère beaucoup que vous avez cherché à faire cette expérience. On peut comprendre intellectuellement le pour et le contre de chaque numérotation et on peut argumenter de longues heures.
Mais avec nos instruments, le seul objectif est de pouvoir jouer cette pièce et de résoudre les difficultés qu’elle pose. Cela demande d’oser expérimenter et d’observer à distance les réactions de mon corps.
Si vous pouvez passer d’une numérotation à une autre sans encombre, vous avez beaucoup de chance. Personnellement je n’y arrive pas. La numérotation de la contrebasse par un zéro entraîne des hésitations et une rupture de mes automatismes. Lorsque la contrebasse est numérotée par un 1, je peux jouer sans aucune difficulté.
Je me réjouis d’échanger avec vous sur vos expériences personnelles. Ces échanges sont extrêmement précieux autant pour vous que pour moi. En me parlant de vos difficultés et de vos expérimentations, vous m’apprenez beaucoup !
J’aimerais encore souligner que nous ne devons pas rester enfermés par des décisions qui pouvaient être justes au moment où elles ont été prises. Car notre monde avance très vite et nous avec. Nous devons apprendre à être ancré dans nos corps, avec nos yeux, nos oreilles et jusqu’au bout de nos doigts. En partageant nos expériences avec beaucoup de respect pour toutes les différences entre nous, nous pouvons tous avancer et voir ensemble si un changement se justifie ou pas.
Nous devons aussi goûter ces nouveaux horizons sonores, permis en grande partie par les nombreux progrès techniques que nous faisons tous. De mon côté, je poursuis dans cette ligne ouverte par le Greensleeves to a Ground avec de nouvelles œuvres où le jeu des accords recherche davantage de finesse d’adaptation pour souligner la mélodie. La dernière est une prière : Salut Marie !
Essayez et vous verrez comment une même mélodie, qui s’adapte aux couplets, peut prendre des couleurs toutes différentes et mettre en relief la profondeur du texte, simplement par le jeu des accords.
L’enjeu de cette réflexion, c’est vous
Même si vous êtes amateurs, et que vos connaissances ne vous donnent pas la sécurité de pouvoir participer à un débat auquel plusieurs d’entre vous ne se sentent pas à la hauteur (plusieurs me l’ont dit), vous pouvez être attentifs à vos réactions très fines et prendre une décision pour vous-même, pour jouer en cohérence avec les informations sensorielles que votre cerveau décode. L’enjeu de cette discussion, ici à En Calcat, c’est vous ! Restez centré dans votre cohérence corporelle. Juste pour vous-même, vous pouvez vous poser cette question.
Et si un consensus ne peut pas être trouvé ici entre éditeurs, ce n’est peut-être pas très important aujourd’hui. L’essentiel, c’est votre prise de conscience et votre décision personnelle. Demain va aussi se construire.
Je me réjouis de retrouver certains d’entre vous dans les espaces de musique d’ensemble autour de ce Veni Redemptor Gentium pour analyser et sentir dans la finesse ce jeu des accords, en lien à la numérotation des contrebasses.