REFLEXION SUR LES POINTS DE CODAGE POUR LES ACCORDS - C&H 133
Posté le 18/02/2025
De la structure à l’écriture :
Réflexions concernant
divers points de codages
pour les accords de cithare
Maguy Gérentet - C&H 133
Dans la dynamique de la réflexion engagée dans C&H n°126, et pour que les citharistes puissent mesurer les enjeux des modifications envisagées, voici ma contribution de professeur éditeur – avec, à la clé, de petites questions à la portée de tous…
1. Numérotation de la contrebasse
1.A. Pour comprendre la numérotation actuelle des cordes, il convient de repartir de la structure même des accords.
Notre cithare s’est structurée graduellement à partir d’un modèle de base (6x4), qui pour des raisons physico/acoustiques comporte dans chaque accord trois cordes graves en acier fileté de cuivre, et une chanterelle en simple acier.
La même structure de base a fait ensuite l’objet :
- d'une reprise à l’identique pour les modèles suivants (Kinnor, double 6x4, 7x4 et 12x4)
- d’une extension de trois cordes supérieures en acier pour d’autres modèles (6x7, double 6x7, 7x7, 8x7, 9x7).
Ces divers modèles comportent une constante : trois cordes en cuivre traditionnellement numérotées de 1 à 3 ; puis 1 ou 4 cordes en acier, respectivement numérotées 4, ou de 4 à 7.
Au-delà du matériel employé, il y a là une répartition d’ordre sonore, dans laquelle les concepteurs de la cithare ont recherché un équilibre entre graves et aigus, et surtout un parallélisme dans le profil des accords (basses mises à part). Le cithariste moyen n’en a évidemment pas conscience, mais c’est ce qui fait la beauté/qualité des accompagnements.
1.B. À la création des psaltérions 12x7
En 1988, une basse supplémentaire a été insérée sur trois accords : dite contrebasse, puisqu’elle ne fait que doubler la basse précédente (cette dernière a alors reçu le joli nom de « petite basse »).
Plusieurs citharistes que j’ai rencontrées tendent à considérer que cette contrebasse et la manière de la transcrire sont affaire de spécialistes, sans incidence pour l’exécutant lambda…
Vous ne l’avez peut-être jamais expérimenté vous-mêmes, mais jouer les quatre premières cordes de C avec ou sans contrebasse ne produit pas la même musique, et modifie l’intention du compositeur !
On peut par exemple percevoir cette subtilité à travers les deux premières mesures de Comme la rose au bord des eaux de Jacques Berthier : si l’on joue les cordes traditionnelles 1-2-3-4, deux fois de suite, on introduit le rythme chantant d’un cours d’eau ; si par inadvertance on joue quatre cordes en partant de la contrebasse, cela donne un bourdon sombre, qui n’a rien à voir avec un cours d’eau…
La question de la numérotation de cette nouvelle corde s’est donc posée, et après quelques tâtonnements a été résolue par le chiffre zéro ; chiffre plébiscité au congrès d’édition de 2001 ; décision appliquée par la totalité des éditeurs 1
– notamment dans les publications associatives.
Cette décision se fondait sur un faisceau de raisons, qui méritent d’être rappelées…
1.C. Homogénéité des publications
Que ce soit sur des publications antérieures au psaltérion 12x7 (encore largement présentes) ou postérieures à cet instrument, le chiffre zéro permet d’exécuter les compositions avec ou sans contrebasse, et ceci sur n’importe quelle cithare, par simple omission ou prise en compte de celle-ci ; tandis que le 1, sans équivoque, désigne la petite basse...
Inversement le 1 affecté à la contrebasse prêterait à confusion ; il impliquerait notamment de modifier tous les numéros de cordes des accords C –C#-D :
- dans le cas de fragment d’accord (3-7 par exemple devenant 3-8) ;
- et surtout dans le cas d’accords arpégés rythmiques, chaque série de chiffre (1-2-3-4-5-6 devant être remplacée par 2-3-4-5-6-7…ou l’inverse…)
Et quoi de plus malcommode que de travailler sur des partitions trop annotées...
1.D. Dans la pratique…
L’expérience a montré qu’après un premier mouvement de surprise, compréhensible, la quasi-totalité des citharistes une fois avertis s’accoutument fort bien à la présence d’une corde numérotée « 0 ».
Après tout, le zéro existe dans les ascenseurs et dans nombre de systèmes de mesure, sans correspondre à un vide, mais à un espace bien déterminé.
- Les débutants posent des questions, et c’est bien normal ! On leur explique la pluralité des cithares, tout en précisant que, à leur niveau, il est sans grande importance de commencer par « 0 » au lieu de « 1 » – ce qui ne manque pas de réjouir ceux qui jouent sur un petit modèle.
Puis au niveau moyen où l’on a moins de préoccupations multiples, ceux qui jouent sur 12x7 découvrent les subtilités de la distinction entre basse et contre basse, et prennent plaisir à prendre en compte le 1er chiffre.
1.E. Homogénéité des instruments
N’avez-vous jamais côtoyé de citharistes utilisant un modèle sans contrebasse ?
Pour moi, c’est monnaie courante : un profil que j’accueille et accompagne sans réserve, puisqu’il y a tant de répertoires en cithare folklorique, comme dans le répertoire religieux/classique ; donc pas seulement pour de l’improvisation, mais bien pour l’exécution de morceaux ;
Comment leur faire adopter une logique dans laquelle la plupart des accords auraient une première corde numérotée « 1 », sauf C, C# et D où elle serait désignée par « 2 » ? Le « 1 » comme le « 0 » ne comportent-ils pas une dimension de « plancher », qui est justement le propre d’une basse ? Et le « 2 » peut-il prétendre aussi bien à cette dimension ?
Par ailleurs, actuellement encore, nombre de citharistes sont amenés à passer :
- soit d’un petit modèle au grand, au terme de leur période « débutant »,
- soit du grand modèle à un plus petit, à n’importe quel moment de leur vie, pour réduire poids et encombrement lors des déplacements.
Et qui d’entre nous peut affirmer que, l’âge venant, il ne reviendra pas à une cithare moins lourde, moins encombrante, moins longue à accorder ?
Ceux qui changent d’instrument devront-ils changer leur jeu de partition ? Ou en avoir deux ? Ou recourir aux multiples annotations ? Et pour les plus fortunés qui pourraient s’offrir deux instruments ou deux jeux de partitions, comment ne pas s’emmêler les pinceaux, s’ils obéissent à deux logiques différentes ?
Il est tout à fait compréhensible que des citharistes n’ayant jamais joué que sur 12x7, sans avoir connu la période où ce modèle n’existait pas, puissent avoir plus de peine à intégrer ces données structurelles, historiques et sociologiques de notre instrument. Cependant c’est un devoir que de les rappeler, au nom de ceux – encore nombreux – qui continuent à utiliser d’autres modèles.
Au n°128, le CA demandait : « L’objectif même d’un code intégrant toutes les cithares ne doit-il pas être analysé plus finement, voire même être remis en question pour certains de ses aspects ? »
En lisant ces lignes, et en tant que membre fondateur, je me demande quant à moi si notre association veut toujours être celle des Amis de la Cithare, qui essaie de faire l’unité entre les différents modèles, ou celle des amis du Psaltérion 12x7, qui ne s’inquiéterait plus des autres… ?
1.F. Point de système idéal !
Sur les psaltérions 12x7 eux-mêmes, la numérotation des cordes à partir du chiffre 1 quel que soit l’accord ne présente pas que des avantages !
Si vous ne jouez que des accords complets, plaqués ou arpégés, elle est évidemment sans incidence…Par contre quand vous commencerez à aborder le répertoire plus subtil contenant des notes individuelles, des fragments au centre ou dans l’aigu des accords, vous réaliserez davantage ses limites.
Comme évoqué par le groupe Partitions au n°128 2, Elle implique de facto la diversification du numéro de la première corde non cuivrée (qui deviendrait 4 pour les accords sans contrebasse, 5 pour les accords avec) ; alors que cette corde, jusqu’ici invariablement chiffrée 4, servait de marqueur…
J’ajoute que la différence de matériau est tout aussi précieuse pour le repérage des cordes voisines (3e et 5e), dans les mêmes circonstances d’usage individuel, ou de début de fragment.
Par ailleurs, pour les compositeurs qui soignent leurs harmonies (et à un certain niveau pour les improvisateurs), il est important de pouvoir s’appuyer sur des données structurelles stables dans la composition des accords, et de pouvoir raisonner en sachant :
- que les basses sont situées entre Eb 1 et D 2, et les trois contrebasses, entre C 1 et D 1 ;
- que (excepté dans l’accord A) les cordes chiffrées 2 et 5 sont comprises entre fa et sib ; les cordes 3 et 6, entre la et ré ;
- enfin les cordes 4 et 7, entre ré et fa#.
A travers ces questions de visualisation des cordes et de connaissance des notes, on perçoit bien l’intérêt/importance de garder le lien entre la structure de base de la cithare, et chaque modèle d’instrument qui en dérive.
1.G. Incidences pour les éditeurs
Le groupe Partitions, tout comme le CA, a relevé les interrogations que susciterait une telle évolution quant aux publications antérieures (partitions et documents pédagogiques), sans apporter de solution quant aux stocks parfois abondants, ni quant au risque de déqualification/abandon du répertoire antérieur, à force de confusion…
J’ajoute une autre question : y aurait-il équité entre les compositeurs récents qui auraient peu à corriger, et les plus anciens qui, du fait d’une production plus abondante, devraient y passer un temps considérable, sans contrepartie financière ?
A chacun donc de définir s’il est de ceux qui cherchent à soutenir les compositeurs/éditeurs, ou s’il reste indifférent à leur travail, leur situation...
Une autre conséquence déplorable serait que chaque cithariste puisse se trouver tôt ou tard amené à opter pour un éditeur donc un répertoire, voire un professeur… Ne convient-il pas d’éviter tout ce qui peut contrer un authentique esprit associatif ?
1.H. Interrogations quant à la longévité de la proposition.
Il est entendu que toute notation musicale est susceptible d’évoluer, y compris avec abandon de certains points antérieurs 3.
Pour autant, une proposition de modification n’est recevable que si elle présente un caractère indiscutable et général à l’ensemble des cithares, mais encore, pérenne…
Les psaltérions 12x8 de Luca Panetti comportent non seulement les trois mêmes contrebasses, mais dans les autres accords (E, F, G, A, B, + Eb, F#, G#, Bb), une corde supplémentaire insérée entre la première et la seconde corde 4.
Jusqu’ici à ma connaissance, seule Claire David écrit pour ces 12x8; toutefois elle ne code pas les accords, ni par lettre ni par chiffre.
Mais le jour où un autre compositeur écrivant pour les instruments Panetti introduira un codage par chiffre, demandera-t-il lui aussi à l’association qu’on adopte le chiffre 2 pour la corde insérée, au motif que l’instrument de référence est devenu la 12x8, et sans s’inquiéter des autres modèles ni des partitions ? … Et ce que l’on aura accordé à l’un, pour quelle raison le refusera-t-on à l’autre ?
Faudra-t-il donc modifier les éditions et habitudes, chaque fois que sortira un nouveau modèle d’instrument, ou une nouvelle suggestion de professeur, compositeur, éditeur ? Perspective ubuesque, qui fait froid dans le dos.
Un exemple, tiré de mon vécu d’éditeur : au départ j’écrivais les accords en notation latine, avec distinction majuscules/minuscules pour le majeur/mineur.
Le congrès de 95 a décidé de passer à l’appellation internationale en majuscules (A, B, C ) avec « m » pour le mineur.
Or, il est important de savoir que le « m » du mineur a été demandé et finalement adopté pour une raison bien spécifique : la cithare, en tant qu’instrument d’accompagnement, appelle de fréquents travaux d’harmonisation – lesquels s’opèrent à la main sur des partitions pré-éditées : or dans l’écriture manuscrite, le "m" est la seule solution pour différencier sans équivoque c et f.
C’est pourquoi le congrès a estimé que l’on ne saurait l’employer uniquement pour deux accords ; et que par conséquent, il convenait de le retenir pour l’ensemble des accords mineurs.
Quoique j’aie trouvé le « m » encombrant, je me suis rangée à cet argument que je reconnaissais fondé et à cette pratique qui n’était pas la mienne, ce qui à l’époque, s’est traduit pour moi par une centaine de partitions à remettre aux normes. On comprendra donc que vingt ans plus tard, avec désormais quelque quatre cent pièces et accompagnements à mon répertoire, il soit hors de propos pour moi de supprimer à nouveau le « m », du fait d’une décision associative prise en 2015 sans interrogation sur l’historique, ni concertation.
De la même manière, le changement de numérotation de la contrebasse des psaltérions 12x7 pose question, dans le sens où il pourrait se voir remis en cause par la mise au point ou la généralisation d’autres modèles de cithares…
En somme, une innovation dont la pérennité n’est pas garantie...
1.I. En guise de synthèse
En ce qui concerne l’abandon du chiffrage zéro de la contrebasse, chacun aura désormais d’avantage d’éléments pour évaluer si les critères d’objectivité et de pérennité sont remplis... Pour ma part, en qualité d’éditeur et de professeur et pour pouvoir continuer à accompagner des citharistes sur tous modèles de cithares, son maintien est une évidence sur laquelle je ne peux revenir.
Mais on peut très bien concevoir que si ce chiffre perturbe certains, il puisse être remplacé par un autre élément qui à ce jour reste à imaginer : un brainstorming ne serait pas superflu ! Pour les citharistes habitués au « 0 », cela se matérialiserait par une petite annotation, mais non une surcharge d’écriture telle que de devoir remplacer 0 par 1, 1 par 2, 2 par 3 etc... dans tous les accords C et D égrenés ou partiels.
2. Réflexions diverses…
Notre cithare se décline en de nombreux modèles, c’est un fait auquel personne ne peut rien… D’un certain point de vue, c’est l’une de ses richesses ! Mais c’est aussi l’un de ses points faibles, qui risque à tout moment de la voir se diversifier et ramifier dans de telles proportions, que cela se retourne en sa défaveur. Trop de modèles, trop de pratiques, trop d’exceptions, ne peuvent que décourager les citharistes, et par ailleurs discréditer la cithare à accords aux yeux du monde musical. Ce point ne devrait-il pas être une préoccupation constante de chaque professionnel de la cithare, quelle que soit sa discipline ; et à plus forte raison,
de l’association ?
C’est dans cet esprit que je recommande ci-après la possibilité d’avoir des variantes individuelles sur des aspects secondaires (cf. infra), mais l’importance de ne pas toucher à des fondamentaux, susceptibles de tout bouleverser ; et de
surcroît, d’une mise en œuvre délicate dans les prochaines publications (musicales ou pédagogiques, associatives ou autres), par multiplication des commentaires à fournir, ou des versions à mettre à disposition.
Les citharistes expriment souvent le rêve d’une notation totalement uniformisée, qui assurément serait infiniment confortable pour eux. Mais comme je l’ai exprimé au congrès de 2014 lors du carrefour « Notation » (cf. C&H n°111), il est urgent de prendre conscience que la diversité provient de la variété même des compositions, qui fait qu’au moment de la transcription sur partition, chaque éditeur n’a pas les mêmes réalités à exprimer graphiquement, et ne se trouve pas confronté à la même (ou aux mêmes) problématique(s).
Ainsi, au lieu de blâmer la diversité comme conséquence de fantaisies ou mésententes des professionnels, ce qui ne peut que couper les ailes de l’inspiration, j’invite chacun à l’accueillir bien plutôt comme l’expression d’une richesse musicale, et à la considérer le plus positivement possible.
Tendre vers l’unité chaque fois qu’elle est réalisable est bien sûr notre devoir !
Mais rechercher une unité absolue me semble un pari improbable, propre à créer des tensions et à entraver la créativité… alors qu’il n’y a pas d’objection majeure à admettre la diversité sur les points secondaires.
3. Points secondaires : désignation des cordes et fragments d’accords
Les autres propositions de l’article sus-mentionné ne posent pas de problème particulier, dans la mesure où elles n’ont rien d’incompatible avec les notations en usage. Tous les instruments connaissent différents éditeurs, ayant chacun leurs particularismes : principe évidemment à reprendre et appliquer pour la cithare.
Ainsi, sont suffisamment explicites pour être compris par n’importe qui :
- Le tiret signalant l’omission d’une ou plusieurs cordes dans un égrené.
- La transcription des fragments proposée en 2 chiffres séparés par un tiret (encore que les triangles, ou les points/bâtonnets, soient tout aussi efficaces, et évitent l’emploi du tiret dans des contextes différents).
Si le triangle a pu être perçu comme imprécis, c’est ici l’occasion de rappeler que sa finalité même est l’imprécision ! De fait, il a justement été conçu pour s’appliquer aussi bien à des accords de quatre cordes qu’à des accords de sept ou neuf, sans entrer dans le détail du nombre de cordes à jouer après la basse ; et c’est là une préoccupation importante pour un certain nombre de compositeurs/transcripteurs, soucieux de s’adapter à tout modèle… Tandis que ceux qui écrivent pour un seul modèle de cithares (12x4, 12x7 ou autre) sont tout naturellement attirés par des symboles précis tels que les chiffres, ou les points/bâtonnets.
Sur les chemins de la cithare, il y a nombre de sentiers…mais quelle belle musique !
Notes de bas de page
1. Excepté Hermann Oberson qui l’avait pourtant approuvée sur place, mais a dit ensuite ne plus se souvenir…)
2. « Le groupe PARTITIONS», C&H 133 - p.14
3. L’association elle-même a dû reprendre ses éditions – ce qui est déjà partiellement réalisé pour les recueils de Jacques Berthier, et pas encore pour ceux de Marcel Godard, au vu des stocks résiduels trop importants. Je m’y suis également obligée sur bon nombre d’incontournables (dont plusieurs ont été mentionnés dans l’article précité) :
- les points et bâtonnets qui désignaient individuellement les cordes en arpégé, ou les basses et contre
basses en fragmenté ;
- …et le « + » que j’employais pour désigner les plaqués avec contre basses.
4. Exactement comme le deuxième mi inséré dans l’accord E des 7x7…